Les métiers en tension : quels changements dans le projet de loi “immigration” ?

Réalisé en partenariat avec le CRID Réalisation : Émilie Blondy et Perin Emel Yavuz Désinfox-Migrations — CC-BY-NC-ND — 2023

Le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » actuellement en cours de discussion à l’Assemblée nationale comporte un volet économique dédié au sujet des métiers en tension. Il s’agit de l’article 3 sur lequel gauche et droite s’affrontent, les uns sur une approche qu’ils jugent utilitariste des migrants, les autres sur le rejet de toute régularisation au motif du présupposé coût de l’immigration, là où le gouvernement estime améliorer la situation des travailleurs sans papiers. Les différents points de vue méritent des éclaircissements.

Quels rapports l’immigration entretient-elle avec l’économie nationale : un coût ou un apport ? Que sont au juste les métiers en tension et comment cela fonctionne-t-il ? Qui cela concerne-t-il ? Que propose de changer le projet de loi ?

Pour éclairer ce débat, on fait le point avec l’économiste, Jérôme Gonnot, enseignant-chercheur à Espol-Université catholique de Lille.

L’argument du coût économique de l’immigration est-il fondé ?

On entend souvent parler du coût économique de l’immigration, de son impact sur les finances publiques, ainsi que sur le marché du travail des natifs et des Français. En réalité, en France, un emploi sur 10 est occupé par un immigré. C’est l’ajustement du marché du travail à l’arrivée des immigrés et son interaction avec le reste de l’économie qui déterminent les effets de l’immigration sur le marché du travail. Dans l’ensemble, les analyses ne trouvent pas d’impact négatif de l’immigration sur les salaires ou sur l’emploi en France, contrairement aux idées reçues. Les immigrés ne constituent pas une charge pour les finances publiques, mais au contraire, ils représentent une contribution nette positive au solde budgétaire de l’État, estimée à environ 0,25 % du produit intérieur brut pour la période entre 2006 et 2018.

L’aspect économique de l’immigration est crucial dans le débat sur ce sujet, car elle contribue à la croissance économique française. La part la plus importante de l’immigration aujourd’hui concerne les motifs économiques. Par exemple, environ 50 000 premiers titres de séjour sont délivrés chaque année pour des motifs économiques, soit deux fois plus qu’en 2017 et trois fois plus qu’en 2012. Les travailleurs étrangers répondent à des besoins de main-d’œuvre dans les secteurs en forte croissance où la main-d’œuvre locale est insuffisante pour répondre à la demande, notamment dans les métiers en tension.

Les métiers en tension, comment ça marche ?

Les métiers en tension font l’objet d’une liste régulièrement mise à jour, comprenant actuellement une trentaine de métiers tels que les aides à domicile, les aides-soignants, les agents d’entretien, et bien d’autres. Cette liste est adaptée à chaque région en fonction des caractéristiques de l’économie locale.

La régularisation des travailleurs étrangers en situation irrégulière est organisée par ce qu’on appelle la circulaire Valls. Cette circulaire autorise la demande d’un titre de séjour de la part d’étrangers en situation irrégulière lorsqu’ils sont en France depuis au moins 5 ans, qu’ils ont travaillé au moins 8 mois dans les deux dernières années, qu’ils disposent d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche. En réalité, ces critères ne s’appliquent pas automatiquement. Il faut, en effet, que l’employeur soutienne la demande du travailleur, ce qu’il peut parfois répugner à faire non seulement parce que l’emploi de sans papiers est réprimé sur le plan légal, mais aussi parce que cette illégalité lui permet aussi de s’affranchir, dans certains cas, du droit du travail. C’est pour cette raison que le gouvernement prétend que cet article du projet de loi va permettre d’améliorer les choses.

Qu’est-ce qui change avec le projet de loi « immigration » pour les métiers en tension ?

Ce que prévoit ce dispositif contenu dans le projet de loi, c’est de permettre à des gens qui sont déjà présents sur le territoire français sous la forme d’un titre de séjour labellisé « métier en tension » d’être régularisé. Ce titre de séjour sera valable pour une durée d’un an. La différence avec la circulaire Valls, c’est que, maintenant, cette demande peut être réalisée en marge de l’accord de l’employeur. Cela permet également d’obtenir un permis de travail alors qu’on est déjà en France, lorsqu’on est un travailleur étranger. Jusqu’à présent, pour avoir un permis de travail en France, il fallait faire la demande depuis l’étranger.

Ce dispositif suscite néanmoins des interrogations. Tout d’abord, la liste des métiers en tension est régulièrement mise à jour, ce qui signifie que certains métiers peuvent être exclus de cette liste à l’avenir, laissant ainsi les travailleurs concernés sans accès à ce dispositif. Deuxièmement, les travailleurs étrangers doivent toujours justifier leur embauche lors de la demande de permis de séjour. Il ne faut pas perdre de vue que cet article s’inscrit dans un projet de loi beaucoup plus large qui, notamment, durcit les conditions d’accès à la nationalité française.

Malgré ces interrogations, il ne faut pas négliger les bienfaits de la régularisation, parce que beaucoup d’études montrent qu’elle peut avoir des effets positifs sur l’intégration sociale, économique et personnelle à long terme des étrangers qui en bénéficient.

EURADIO

Une chronique de 2 minutes et 30 secondes toutes les semaines sur une thématique en lien avec les migrations. 

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