Non, les mineurs non accompagnés ne sont pas responsables d’insécurité

Le 1er octobre 2020, une rencontre est organisée, à Rennes, entre Jordan Bardella, député européen et vice-président du Rassemblement National (RN), et des syndicats de policiers. Devant la presse, l’eurodéputé fustige l’augmentation de la délinquance en accusant explicitement les Mineurs Isolés Étrangers (MIE). Corrélant l’augmentation du nombre de ces jeunes avec celle des actes de délinquance, Jordan Bardella fait d’eux les principaux responsables d’un sentiment d’insécurité croissant dans les villes (1). Plus récemment encore, une mission parlementaire s’est saisie de la question de sécurité publique associée à la présence de Mineurs Non Accompagnés (MNA) (mars 2021). Autant à la lecture du rapport qu’à celle de la synthèse qui l’accompagne, la superposition de problématiques rend confuse l’appréhension des phénomènes de délinquance des MNA. 

Par Julien Long et Emeline Zougbédé, Fellows de l’ICM et membres du projet MINA 93 

La complexité de ces phénomènes est réelle, du fait notamment de la difficulté à comptabiliser avec précision ces actes de délinquance, et à identifier la minorité ou la majorité des auteurs de ces actes, ainsi que leur inscription ou non dans des réseaux de trafic plus larges. Ainsi, en l’absence d’informations objectives et complètes accessible au grand public, les propos de désinformation fleurissent et les MNA (2) sont la cible de discours calomnieux les désignant, dans leur ensemble, comme des délinquants.

Les discours dénonçant l’insécurité liée à la présence de ces mineurs étrangers sont amalgamés aux analyses essentialistes et culturalistes des faits récents de violences entre « bandes de jeunes » dont le milieu culturel d’origine expliquerait leur « ultra-violence ». Les mineurs non accompagnés, définis et perçus comme étant des délinquants, servent alors de bouc-émissaire aux problèmes publics et sociaux.

Des mineurs en danger plutôt que dangereux

En France, au regard de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 et du Code de l’action sociale et des familles, les MNA sont protégés au même titre que tous les mineurs en danger. Ainsi, si tous les MNA sont placés auprès des services de l’aide sociale à l’enfance sur décision judiciaire du juge des enfants, ils le sont au titre d’un jugement en assistance éducative, parce qu’isolés et en danger, et non pas dans le cadre d’une procédure pénale.

Associer les MNA à des délinquants semble faire davantage référence à une vieille rhétorique – du pilleur de parcmètre au jeune vendeur de cigarettes – qu’à la démonstration d’une réalité sociale tangible et comptable. La récente synthèse relative aux Problématiques de sécurité associées à la présence de mineurs non accompagnés (déjà citée) devant l’Assemblée nationale, en mars 2021, rapporte que 7% des effectifs de MNA en charge auraient commis des faits de délinquance dans l’agglomération parisienne. Même si les modalités de calcul de ce chiffre interrogent, il montre tout de même la marginalité du phénomène. Dans 93% des cas, les actes de délinquance commis par des mineurs sont le fait d’autres jeunes que MNA.

Plus que d’un phénomène grandissant, il s’agit de constructions à la fois politiques et sociales, rattachées à des questions de sécurité publique et nationale. Dans les années 2000, les logiques de catégorisation de ces jeunes isolés et étrangers se sont articulées autour de deux profils, apparus dans la deuxième moitié du 20ème siècle : celui du jeune étranger errant et/ou délinquant et celui du jeune réfugié à protéger (3).

Actuellement, les MNA, qui arrivent de plus en plus par voie terrestre plutôt que par voie aérienne, ont déjà des trajectoires marquées par l’errance. Une fois en France, ils sont orientés vers les permanences des circonscriptions de l’aide sociale à l’enfance par des tiers, ou par la police après avoir été appréhendés. En tant que mineurs en danger, ils font également l’objet d’informations préoccupantes (4). L’errance et la rupture sont inscrites dans leur parcours (5).

La substitution du terme de Mineurs Isolés Étrangers (MIE) à celui Mineurs Non Accompagnés (MNA) au cours de l’année 2016 dénote moins d’un changement de paradigme dans la perception de ces jeunes, que de la volonté de mettre en place une catégorie homogène d’action publique (6).

La prise en charge des mineurs non accompagnés : tensions entre les Départements et l’État

Au début des années 2010, les services de l’aide sociale à l’enfance ont vu le nombre de prises en charge des mineurs isolés et étrangers croître fortement, sans que les ressources matérielles, financières et humaines augmentent d’autant. L’embolisation de ces services départementaux a contribué à rendre les phénomènes de délinquance des mineurs non accompagnés davantage visibles et médiatisés, ainsi qu’à interroger la présence de ces jeunes au sein des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance.

En réalité, la question de la prise en charge des mineurs non accompagnés au sein des effectifs de l’aide sociale à l’enfance ne se pose pas tant au regard de la question de la délinquance, que par leur condition de migrant dans un contexte de « crise migratoire ». Elle génère à ce titre des conflits entre les Conseils départementaux et l’État.

Rappelons qu’en 1975, la dénomination de MIE est d’abord une catégorie d’action humanitaire, coordonnée et financée par l’État à travers un dispositif d’accueil de mineurs isolés et réfugiés. Dans ce cadre, des jeunes d’Asie du Sud-Est puis de l’Europe de l’Est ont été accueillis jusqu’en 1992. Par la suite, ce sont davantage les départements, au regard de leur compétence en protection de l’enfance, qui ont été confrontés à ces migrations juvéniles, qui ne sont pas un épiphénomène, en particulier dans certains départements comme la Seine-Saint-Denis. Des dispositifs sont alors co-financés par l’État pour accueillir les jeunes sortant de rétention aéroportuaire et soulager les départements.

Néanmoins, l’arrivée dans les départements de jeunes étrangers sollicitant la protection de l’enfance, a continué d’augmenter. Le travail d’archives permet d’observer un point de bascule dans les modalités de prise en charge de ces jeunes étrangers. Par exemple, l’augmentation de 181 jeunes isolés étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance dans le département de la Seine-Saint-Denis en 2007, à 521 en 2008, ajoute de la complexité à une politique sociale connaissant déjà certaines difficultés. Dans ce contexte, et alors que la protection de l’enfance est déjà exsangue, ces jeunes mineurs isolés et étrangers incarnent ce qui est perçu comme une “crise migratoire”.

Ainsi, depuis les années 2000, l’accueil de jeunes mineurs isolés et étrangers met en tension l’État et les départements : le premier renvoyant les départements à leur compétence en termes de protection de l’enfance, et les seconds en appelant à la responsabilité de l’État au nom de sa politique migratoire.

Jeunesse, insécurité, immigration : triptyque d’une rhétorique tristement célèbre

Pour mettre en exergue la question sécuritaire au sein du débat politico-médiatique, il suffit d’agiter la question de la délinquance juvénile et de l’insécurité. Cette rhétorique n’est pas sans rappeler celles de manière générale sur les jeunesses populaires, notamment urbaines. Ces jeunesses ont été particulièrement mises en avant comme déviantes, dangereuses, sauvages.

Des Maçons creusois du 18ème siècle à Paris, aux bandes urbaines « apaches » au début du 20ème, en passant par les jeunes « Français Musulmans d’Algérie » de la Goutte d’or des années 1950 jusqu’aux « zones de non-droit » que représentent certaines banlieues depuis les émeutes de 2005, il s’agit toujours d’exposer et de diaboliser la présence de ces corps dans l’espace public comme étant exogènes, sauvages. Ce langage a pour effet de dissimuler le processus de désaffiliation d’une jeunesse, qui est en demande de reconnaissance, économique, sociale et politique (7). Les manières de nommer et de stigmatiser les jeunesses populaires trahissent des inquiétudes sociales et politiques séculières au sein de notre société. Ce ne sont pas tant les MNA qui épousent des trajectoires délinquantes que l’image de jeunes hommes étrangers dont la présence inquiète, créant ainsi une image repoussoir d’une jeunesse comme classe d’âge dangereuse.

Cette rhétorique tronque la réalité, occultant finalement le véritable débat qui doit s’opérer sur les questions touchant aux jeunesses dans nos sociétés. En effet, elle ne dit rien des difficultés des politiques sociales portées par les départements et notamment la protection de l’enfance. Elle ne dit pas le quotidien des travailleurs sociaux, la dégradation de leur condition de travail, des moyens et du sens de leur métier. Elle nie également les trajectoires, souvent chaotiques, de ces jeunes en exil. Elle occulte aussi que ces jeunes aspirent à un futur professionnel, à être force de propositions et à être partie intégrante d’un monde en mouvement. C’est bien ici tout le problème avec l’affirmation outrageuse qui associe mineurs non accompagnés et délinquance.

Notes

  1. Ce que différents articles de presse mettent en avant. Dans un article publié le 1er mars 2021, le quotidien régional Ouest France, relatait une certaine surexposition de nombreuses grandes villes face au phénomène de délinquance des mineurs non accompagnés.
  2. Nous n’utilisons pas l’écriture adelphique (inclusive) parce qu’il s’agit de mettre l’accent sur le fait que la délinquance apparaît s’écrire davantage au masculin. Ce qui souligne aussi la permanence et prégnance des représentations des masculinités « noires » et « arabes », et des tous les fantasmes qu’elles charrient.
  3. Pour plus de détails sur le profil jeune réfugié à protéger, se reporter au numéro 4 de la revue ProAsile de février 2001, et notamment la restitution des actes du colloque « Quelle protection en Europe pour les mineurs isolés demandeurs d’asile ? » (27 octobre 2000).
  4. La loi du 5 mars 2007, réformant la protection de l’enfance, crée la Cellule de recueil d’informations préoccupantes (CRIP). Cette cellule a pour mission de recueillir et d’évaluer toutes les informations préoccupantes relatives à un mineur en danger ou en risque de l’être. Tout citoyen ou professionnel peut saisir la CRIP.
  5. Dans le cadre du projet MINA 93 – Mineurs non accompagnés en Seine-Saint-Denis : parcours, trajectoires, dispositifs – une analyse à la fois quantitative et qualitative de 130 dossiers de jeunes mineurs étrangers et isolés entre 2007 et 2017 par le département de la Seine-Saint-Denis montre que 27% des effectifs sont entrés par le commissariat, 21% par la police aux frontières et 47% pour les services départementaux. À cela s’ajoute qu’un quart des effectifs de cette période ont eu une prise en charge de moins de sept jours se soldant par une fugue. Si ces fugues sont davantage le fait de jeunes Roms, il n’empêche qu’elles renvoient à l’image d’une jeunesse en errance. Sur les questions liées aux motifs de départ et aux parcours migratoires des jeunes, voir le numéro 17 de la revue De Facto Migrations.
  6. En effet, à partir de 2016, dans un souci d’harmonisation à l’échelle européenne, le terme de Mineurs non accompagnés (MNA) se substitue à celui de Mineurs isolés étrangers (MIE), quand bien même la loi du 14 mars 2016, relative à la protection de l’enfant, parle de mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. Notons aussi le titre évocateur de l’article Jean-Luc Rongé dans le Journal du droit des jeunes : « Les “mineurs isolés étrangers” (MIE) deviennent des “mineurs non accompagnés” (MNA) – Que tout change… Pour que rien ne change ! ».
  7. Pour Abdellali Hajjat (2014), dans certains commentaires sociologiques sur ce que « la marche des beurs » de 1983 révèle et met en scène, les catégories « jeunes immigrés » et « jeunes des banlieues » y sont peu déconstruites et viennent se soustraire à celle de l’immigré, se confondant dans une certaine rhétorique politique et médiatique. Tout se passe alors comme si la péréquation qui fait des « jeunes immigrés » des jeunes des banlieues, et vice-versa, n’avait nulle besoin d’être interrogée, ni démontrée, tant « […] on ne sait pas si leur mobilisation est la cause, la conséquence ou le moyen de leur “intégration”… » (p. 671). Hajjat, Abdellali. 2014. « 61. La Marche pour l’égalité et contre le racisme », in Michel Pigenet (dir.), Histoire des mouvements sociaux en France. De 1814 à nos jours. Paris, La Découverte : 671-680.

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