Depuis le lancement de la campagne pour les départementales et les régionales le 31 mai dernier, les interventions des candidat.e.s sur le sujet des migrations abordent majoritairement des aspects qui ne relèvent pas des compétences locales, mais de politiques nationales. Par exemple, la régulation des flux migratoires ou encore le contrôle des frontières. Entre reflet d’une “droitisation de la société”, préparation de la présidentielle de 2022 et imprécisions, retour sur un débat public qui balaie toute complexité, en même temps que les besoins des territoires et des bénéficiaires.
17 juin 2021
Par Barbara Joannon pour Désinfox-Migrations et Sofia Belkacem pour Guiti News
Les élections départementales et régionales du 20 et 27 juin prochains comme tremplins pour l’Elysée ? Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (RN), l’assume, voyant « une séquence électorale qui inclut les élections départementales, régionales, présidentielles ».
Et d’insister : « Nous avons besoin que toutes les collectivités soient tournées vers le même objectif, en soutien à la politique d’Etat que je mènerai quand je serai présidente de la République, j’ai besoin que les départements accompagnent ces changements », déclarait-elle le 21 mai dernier.
Un flou entretenu entre les compétences nationales et locales…
Depuis le lancement de la campagne pour les départementales et régionales, lorsqu’ils parlent des migrations et des migrants, nombres de candidats et candidates, en particulier de droite et d’extrême-droite, évoquent la lutte contre l’immigration irrégulière et l’insécurité ou encore les expulsions des « clandestins », faisant ainsi prévaloir des politiques régaliennes.
En effet, relèvent notamment de la compétence de l’Etat : la politique d’immigration et d’asile qui inclut par exemple la délivrance des titres de séjour, le contrôle des frontières ou encore la conduite des expulsions, ainsi que les politiques relatives à la police et à la justice.
Ainsi, les sujets évoqués par les candidats et candidates sont souvent bien loin des compétences des départements et des régions, que sont respectivement l’action sociale, les infrastructures et la gestion des collèges pour les départements et l’aménagement du territoire, les transports non urbains ou encore la gestion des lycées pour les régions.
Le tract du RN diffusé par exemple en Occitanie dès le mois d’avril 2021, s’appuie sur des constats et des chiffres – d’ailleurs essentiellement faux, à l’échelle de la région pour introduire ses propositions de “mesures immédiates pour remettre la France en ordre”. Lesquelles ne sont autres que… les propositions de campagne de Marine Le Pen pour 2022 sur le thème de l’immigration. Des propositions d’ailleurs dans la continuité de celles de 2017, 2012 et de son père avant elle.
…prétexte aux approximations et aux infox
Cette confusion qu’entretiennent les politiques dans leurs prises de parole publiques s’accompagne ainsi, presque naturellement, de la prolifération d’infox et d’approximations. Et ces dernières semaines, celle-ci s’est particulièrement cristallisée autour de la situation des MNA (mineurs non accompagnés) dans l’Hexagone.
La loi française, via notamment son code de l’action sociale et des familles (CASF), précise que tout mineur, qui est « privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille », entre dans le droit commun de la protection de l’enfance. Indépendamment de sa nationalité et de son origine. L’évaluation de l’âge des mineurs et leur prise en charge, incombent, elles, aux départements.
Une prise en charge fustigée par Sébastien Chenu. Dans un entretien du Figaro Live, le cadre du RN et candidat à la présidence des Hauts-de-France, argue : « les départements n’ont pas vocation à assumer la politique migratoire de l’État français. (…) Si le Président Emmanuel Macron veut continuer à soutenir les migrants, en tout cas les mineurs isolés, qui ne sont en général ni mineurs ni isolés, il doit le prendre en charge ».
De la même manière, en Meurthe-et-Moselle, dans les Yvelines comme en Provence-Alpes-Côte d’Azur, le RN dédie, dans ses tracts de campagne, un encart sur la situation des MNA truffé d’infox et d’approximations.
Outre une « incitation à la haine et aux discriminations » dénoncée par plus de 110 avocats qui ont saisi la justice en Ile-de-France, le RN reprend une infox sur le coût de prise en charge des MNA, rectifiée en détail ici.
Selon les données disponibles, il s’élèverait à 1 milliard d’euros, soit la moitié du montant avancé dans le tract du parti d’extrême-droite.
Ces approximations et ces infox se retrouvent dans les programmes politiques, comme dans les rares sites de campagne pour les régionales. A l’image de celui du même Sébastien Chenu, qui dans un appel à bénévoles pour rejoindre son équipe de campagne, demande à ces derniers de cocher – par ordre de préférence- les « thématiques régionales qui vous intéressent ».
Là aussi, apparaissent pêle-mêle des compétences régionales effectives, des compétences nationales et des thématiques qui ne concernent ni l’une ni l’autre.
Des écueils du débat polarisé pour les territoires et les bénéficiaires…
Entre contrôle des frontières, délivrance des visas et titres de séjour, l’actuel débat public tend à être réduit aux seules politiques d’immigration. Or, au-delà de ces compétences nationales – ineptes donc à l’aune de scrutins régionaux et départementaux-, le sujet des migrations est bien plus vaste, et peut dès lors concerner des compétences locales.
Parler de “migrations” au niveau local, c’est aussi parler d’éducation, de logement, de santé, d’emploi ou encore de transport. Ce sont autant de politiques publiques qui relèvent, au moins pour partie, de compétences locales, dont les personnes étrangères et immigrées qui vivent dans les territoires concernés peuvent être bénéficiaires.
Par exemple, le département de la Seine-Saint-Denis propose différentes aides sociales à la population de son territoire et ce, quel que soit le statut de ses résidents. Même son de cloche du côté de la région Centre-Val de Loire qui offre la gratuité des transports pour tous les jeunes du territoire, ainsi que l’accès à la culture pour tous les publics précaires, indépendamment de leur statut.
En outre, s’intéresser aux compétences locales et aux politiques sectorielles déployées par les collectivités est un moyen d’aborder les politiques publiques de manière inclusive, sans distinguer les bénéficiaires par leur nationalité, leur origine ou leur statut administratif mais selon leur lieu de résidence, leurs besoins économiques et sociaux et leur participation à la vie d’un territoire.
… représentatifs de tendances plus structurelles
La nature du débat public sur les migrations est cependant le reflet d’une certaine droitisation des opinions. En France, 38% des citoyens et citoyennes se positionnent à droite contre 24% à gauche, révèle une récente étude de la Fondation pour l’innovation politique.
Et ce sont particulièrement les thématiques sécuritaires, dont le Rassemblement national s’est fait le héraut, qui figurent en tête des préoccupations des français et des françaises pour ces élections départementales et régionales.
Pourtant, les données disponibles montrent que le supposé “ensauvagement” de la société est loin d’être une réalité en France. Ce décalage entre les perceptions de la population et la réalité du phénomène est aussi valable pour l’immigration, dont l’augmentation très modérée des vingt dernières années contraste avec l’impression de “submersion” d’une partie de la population.
Ainsi, ces élections confirment d’autres tendances structurelles : l’instrumentalisation de la thématique des migrations au service de fins politiques et la qualité très variable du débat public, insuffisamment fondé sur des faits et des données vérifiés.