Quelle réflexion dans les médias sur les mots des migrations ? — Table ronde #5

De nombreux chercheurs ont contesté dès 2015 l’utilisation de l’expression de « crise migratoire », d’une part, car il s’agissait alors d’une crise de l’accueil et, d’autre part, car la notion de crise entraîne la mise en place de dispositifs d’urgence spécifiques. Nous l’avons vu avec la crise sanitaire ou la crise de l’énergie.

Y‑a-t’il une crise migratoire qui nécessite des mesures spéciales, d’urgence ? Le sujet a pour objectif de questionner la pertinence, le bien fondé de l’utilisation des mots utilisés lorsque la thématique de la migration est abordée. Au regard de la réalité de l’immigration (en lien avec cet article notamment),
La table ronde s’intéressera à la réflexion qui est engagée par les rédactions sur les termes choisis pour parler de migration.

Introduction

  • Charlotte Recoquillon, Désinfox Migrations 
  • Hélène Thiollet (CNRS CERI Sciences Po, Projet PACE)

Intervenant·es

  • Catherine Perron, Sciences Po-CERI
  • Marie Moncada, PhD, politiste, en charge du projet BRIDGES
  • Cory Le Guen, journaliste
  • Emmanuelle Chaze, journaliste

Compte-rendu

Catherine Perron, Chercheuse à Sciences Po Paris : en Allemagne, il y a eu une réticence avant 2015 à parler de crise. En sept 2015 il y a 200 000 arrivées par mois qui s’accompagnent de l’utilisation de deux termes : « Culture de bienvenue » et « Crise des réfugiés ».

« Crise des réfugiés » et pas « migratoire » d’ailleurs. L’expression de « Culture de bienvenue » (Wilkommenskultur) est en réalité issue de la sphère économique pour attirer de la main d’œuvre. Avant 2015, les arrivées en Allemagne sont historiquement basses.

Le discours de la Culture de bienvenue est alors recyclé pour la « crise des réfugiés ». Le glissement de sens a contribué à créer un flou entre immigration de travail et demandeurs d’asile. Mais le discours sur l’accueil s’est articulé avec celui de la crise sans s’opposer. 

Marie Moncada, qui participe au projet BRIDGES, explique que le projet étudie le récit sur les migrations dans les médias à partir de 3 évènements en France (traversées du tunnel sous la Manche 2015, Burkini 2016 et l’attentat de Nice 2020).

Le discours négatif provient davantage de la presse écrite et de Twitter que des médias télévisuels, qui mettent l’accent sur les victimes (pour les attentats). Pour le tunnel sous la manche : les décès sont abordés de façon numéraire, sans s’intéresser au profil des victimes. Les 10 journalistes interrogés pour le projet Bridges ont indiqué ne pas avoir de réflexion particulière au sujet des mots des migrations. Le terme le plus utilisé est celui de « Migrants ».

Quelques conseils pour combattre les discours de haine : plus de diversité dans les rédactions, diversifié les personnes citées (femmes, politiques à gauche, immigrés).

Emmanuelle Chaze, journaliste, a commencé à parler des questions de migrations en 2015 à Berlin. Elle a choisi de suivre les routes migratoires en sens inverse, de Berlin à Lesbos mais aussi à bord de l’Ocean Viking. La façon dont on aborde les migrations est cruciale : il s’agit de raconter des faits que la plupart ne verront pas par eux-mêmes. C’est une grande responsabilité d’influer sur la perception de ces migrations, les mots ont réellement un sens.

Les mots ont un sens, les tabloïds anglais utilisent par exemple « Illegals » pour désigner des personnes. Or personne n’est illégal, la situation administrative d’une personne peut être irrégulière mais il n’est pas illégal.

Il est important de toujours rappeler qu’il y a une crise « humanitaire » et pas une crise « des migrations ». Il faut rappeler ce qu’est une demande d’asile et il faut continuer à s’éduquer et apprendre pour transmettre de façon claire.

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