Les images de la migration — Table ronde #9

Les migrations polarisent fortement l’opinion mais sont paradoxalement souvent réduit à un petit répertoire d’images soit misérabilistes soit menaçantes qui sensationnalisent un fait social en réalité plutôt discret pour le transformer en spectacle médiatique: des bateaux en train de sombrer, des passages de murs ou de barbelés, des cadavres échoués… Les représentations de personnes migrantes ou d’origine étrangères reposent quant à elles souvent sur des stéréotypes culturels, genrés ou raciaux: les images de corps noirs ou encore de femmes voilées sont par exemple fréquemment mobilisées pour représenter ce qui constituerait une altérité migrante radicale. 

L’usage des images renvoie à des questions éthiques, pour des médias de plus en plus « visuels », sur ce qui est montré ou pas et comment. Si les images en disent plus long que les mots, il est essentiel de prendre le temps de s’interroger sur les non-dits du visuel. Quelles sont les conditions de réalisation de ces images? Comment se passe leur sélection et leur diffusion? Comment sont-elles reçues et quel est leur impact? Dans un contexte où l’immédiateté et la rapidité de circulation des informations et des images rencontrent l’intelligence artificielle, qui peut transformer de plus en plus facilement et efficacement les images et vidéos  proposées par les médias. La manipulation digitale des images est loin de n’être qu’une question technique et rejoint les enjeux fondamentaux de la représentation médiatique des migrations, notamment par l’image.

Introduction : 

  • Nora El Qadim, Université Paris 8
  • Hélène Thiollet, CNRS CERI Sciences Po, projet PACE

Intervenantes :

  • Marianne Amar, Historienne, responsable du département de la recherche du Musée national de l’histoire de l’immigration
  • Pascal Laborderie, professeur des universités en sciences de l’information et de la communication à l’université de Reims Champagne-Ardenne
  • Mohammad Arif Ullah, journaliste à France 24 pour le site InfoMigrants

Compte-rendu

Les migrations polarisent fortement l’opinion mais sont paradoxalement souvent réduit à un petit répertoire d’images misérabilistes ou menaçantes…

Les représentations de personnes migrantes ou d’origine étrangères reposent quant à elles souvent sur des stéréotypes culturels, genrés ou raciaux… 

L’usage des images renvoie à des questions éthiques, pour des médias de plus en plus « visuels »…

La réduction de cet imaginaire de la migration à un petit nombre d’images qui contribuent à rendre le sujet plus sensationnel la sensationnalisation du sujet et la construction de stéréotypes.

Comment ces images sont produites, publiées, diffusées et reçues ? Quelle éthique de la représentation ?

L’historienne Maurienne Amar, spécialiste de l’histoire sociale de la photographie en migration (années 1920-1970) et sur les réfugiés des années 1930-1950. Elle a notamment codirigé avec Nancy Green l’ouvrage collectif « Migrations d’élites”.

Il y a bien un vocabulaire visuel sur les migrations. 

Le premier exemple est la figure de la file. Il apparaît dès 1851, sur une photogravure de la préfecture de police de Paris. La file signifie l’attente et l’ordre de la société d’installation. 

L’exemple inverse c’est la vague/le flux. Le photographe se tient frontalement face à la foule de migrants, sans profondeur de champs et diffuse l’idée de menace, de masse, de déferlement et de perte de contrôle

Le troisième type d’images emprunte à l’iconographie de guerre, qui elle-même emprunte à l’iconographie religieuse. La photographie à vocation humanitaire est faite pour émouvoir et pour mobiliser… 

Elles suscitent de l’empathie mais figent aussi l’irruption de la violence dans la vie ordinaire et créent de la peur. Elle pose la question des conditions de la prise de vue.

Il y a de l’invisible dans les photos. Des informations sont manquantes. Il y a de nombreuses photos de migrants qui ne sont pas des photos de migration.

Autre problème : quand on ne désigne pas les personnes photographiées. Marianne Amar précise qu’il y a un mouvement parmi les musées pour désanonymiser les personnes exposées. La pleine visibilité passe par donner un nom à chaque personne représentée sur les images. Les migrants eux-mêmes savent s’auto-invisibiliser. Par exemple, des commerçants migrant·es qui empruntent des noms en anglais ou français pour leur commerce. La photographie peut être un outil mobilisé par les migrant·es eux-mêmes mais peuvent aussi être des violences et il faut s’interroger sur les conditions de production des images.

Pascal Laborderie est professeur des universités en sciences de l’information et de la communication à l’université de Reims Champagne-Ardenne, il signale la parution de l’ouvrage Images de migrants. Éducation, médiation et réception audiovisuelles.

Dans cet ouvrage, les auteurs ont choisi le terme « migrants » c’est une pratique médiatique qui cristallise les débats socio-politiques. L’invasion de l’Ukraine a changé temporairement la façon dont on discute de la question migratoire dans l’espace public. La crise des migrants est en réalité une crise de l’accueil.

La démarche de l’ouvrage est d’étudier la façon dont les images sont reçues sur le terrain, avec 60 images dans différents contextes géographiques. D’abord, il y a une représentation différente du phénomène migratoire de part et d’autre de la Méditerranée. Vision angélique ou diabolisation des phénomènes migratoires s’opposent, avec un léger tropisme pour la diabolisation. Les enseignants eux-mêmes ne sont pas immunes à l’influence médiatique et ont eux-mêmes tendance à reprendre les images les plus sensationnelles pour montrer les migrations.

M Arif Ullah, journaliste à France 24 pour InfoMigrants introduit son propos en précisant qu’il est lui-même migrant et se questionne en tant que journaliste sur la collecte et diffusion des images. Il déplore qu’on ne voit jamais les migrants dans leur vie précédente et dans leur humanité, qu’on ne montre pas leurs rêves et leurs réussites. On les montre dans les centres de rétention, aux frontières, en tant que réfugiés…

Les compétences des migrants dans la société ne sont pas valorisées, ils en sont les acteurs. Un challenge pour les journalistes est de montrer des individus et pas seulement des migrants en général, en plus de montrer leurs réussites et une image positive.

De nombreux photographes sont des exilés et il y a une grande part d’autoportrait. C’est le cas de R. Capa qui se reconnaît dans ces sujets ou David Seymour. Mais chacun a quand même contribué à figer des codes de représentations. Il y a toujours l’approche compassionnelle par exemple.


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